Daté Atavito Barnabé-Akayi est l’un des écrivains de la décennie d’après l’an deux mille qu’il faut forcément citer au Bénin. Si son côté prolifique l’identifie (et tous genres), il n’en est pas moins de l’audace et l’anticonformisme de son écriture. Avec la pièce « Le chroniqueur du PR », Daté confirme son intérêt pour le sujet politique, après « Les confessions du PR » paru en 2010, en même temps que son goût du risque.On peut y flairer l’actualité politique du Bénin à l’avènement d’un nouveau régime mais il faudra surtout remarquer la mise en garde d’un artiste.

couverture du livre

Un ami qui n’est pas sincère et qui est méchant est plus à craindre qu’une bête sauvage. Une bête sauvage peut blesser votre corps, mais un mauvais ami blessera votre esprit Bouddha (in 25 leçons de vie à apprendre de bouddha). Ici, et l’esprit et le corps seront atrocement blessés lorsqu’un des deux amis se sera saoulé du pouvoir d’Etat et de ses affidés.

Il s’agit de deux amis journalistes spécialistes de questions politiques ayant tous fait les frais du régime précédent et partageant les mêmes interrogations sur ce que la gestion du pouvoir offre à vivre chez eux. Le régime défunt leur a fait voir des couleurs pas agréables surtout à eux hommes de média dont la liberté de critiquer était spécialement muselée. Maintenant ce temps où « une seule personne avait le droit de bondir » est derrière mais Le chroniqueur et son confrère reniflent le pire et se questionnent constamment sur ce que cache l’apparence propre du nouvel homme fort. « Je me dis que dans le but de paraître sans tache, il pourrait nuire en sourdine à toute voix qui s’élève contre lui » (p.27). Les deux amis à l’analyse de ce qui prévaut comme actualité craignent que « l’opposant d’hier devenu président de la république » (p.34) ne « développe des réflexes de dictateur » (p.26). Ils s’accordent sur les signes avant-coureurs de totalitarisme qui profilent à l’horizon. Pas d’opposant, il y a même le chef d’un parti politique qui s’est déclaré de la mouvance dès le lendemain de la prise de fonction du président sans qu’il ne soit encore annoncé le programme d’action du gouvernement.

Les deux personnages de cette pièce sont très préoccupés par la pratique de la politique tout comme la conception du pouvoir par le peuple dans leur pays et en arrivent à des idées qui viseraient à revoir des notions dès la base. Qu’est-ce que c’est que voter, par exemple ; qui peut voter ; pour qui voter et pourquoi lui. Bien de réflexions et suggestions ont été faites. Lesquelles ne dépasseront pas le stade de la théorie. Plus tard, « Le confrère » du chroniqueur sera au pouvoir. A son propre ami « Le chroniqueur », il fera subir les pires tortures. Il achève sa petite famille et lui avec.

Politique, psychologie, Valeurs humaines

Le pouvoir politique ou ce qui en est l’appréhension dans les Etats surtout africains au regard du théâtre qu’ils offrent fait d’une actualité permanente, le choix hasardeux du président de la république, la mal gouvernance, les sales dessous à cacher à tout prix, les accès dictatoriaux, etc. Toutes choses qui favorisent le non avancement de ces pays sur le chemin du progrès. C’est dans un de ces pays (mais ici imaginaire sans doute) que transporte la pièce « Le chroniqueur du Pr » où le dramaturge cache à peine sa proposition de revoir totalement les fondamentaux. « Un jeune élève de 14 ans » dont le « métier » de rêve est d’être « terroriste » (p.16) ; un conducteur de taxi-moto qui a accordé son suffrage à un candidat à l’élection présidentielle pour le « seul argument de l’argent » puisque pour lui, « un type riche peut facilement rendre le pays riche » (p.39) ; un homme qui troublé par la puissance du pouvoir peut administrer à son vieil ami une torture et le supprimer avec sa famille, « Tu mourras exactement comme l’ancien ministre qui s’agitait et dont tu as le dossier. Moi, je ne veux pas te tuer. En fait, je ne peux pas te tuer, mais tu fais appel à mon enfance, à ce que j’ai dû voir et faire pour survivre et être président de la république, là, je t’offre la forme dermique du zèbre sans regret ! Je commencerai par t’arracher un à un les phalanges, puis les ongles. J’en viendrai à tes cheveux […] » (p.72). Il se pose bien le problème assez clinique de l’éducation. Il faudra éduquer à tous les niveaux, prenant au sérieux la dimension psychologique d’un individu.

Tant d’allusions, tant de rapprochements avec l’actualité politique au Bénin. « Détecter de la coke à l’œil nu, détecter son poids à l’œil nu, c’est comme détecter la radioactivité à l’œil nu ! Marie Curie n’est plus morte irradiée » (p.20). S’il était vérifié que l’auteur a puisé dans l’actualité politique de son pays, c’est qu’il mettrait en garde vis-à-vis d’une désillusion éventuelle comme toute sanction à un vote fait sous le coup de « l’émotion ». Pour s’en sortir, il faudra nécessairement revoir les fondamentaux. C’est peut-être un point de vue idéaliste.

L’idéalisme

« Le chroniqueur » est un idéaliste et un dignement borné de son acabit ne connait généralement pas de succès dans un milieu où la pourriture peut servir de décoration de luxe. Il sera donc pris pour naïf, puis, au mépris de l’éthique et des valeurs humaines, va connaitre le même sort qu’Hugo dans la pièce politique « Les mains sales » de Jean Paul Sartre. L’homme pour qui il est prêt à consentir des sacrifices le trompe avec sa femme(Jessica) et il sera tué. Ici, « Le Chroniqueur » est régulièrement trahi par sa femme et son confrère-ami devenu président, puis sera achevé. Si on sait chez Sartre le courant de l’existentialisme avec sa philosophie de l’absoluité de la liberté humaine, quitte à s’assumer et rester authentique, on comprend la mort d’Hugo. En permettant l’élimination du Chroniqueur, Daté veut certainement attirer l’attention sur ce qui jusque-là est réservé comme sort dans nos sociétés et en politique à tout individu qui désire rester proche de quelque vertu morale. Ce qui pose autrement le problème de retard. Ou l’idéaliste est venu des siècles plutôt dans ce monde, ou il n’y a définitivement pas sa place. Et, dans le dernier cas, pourquoi s’attendrait-on à autres choses qu’à la tricherie, la manipulation, la sournoiserie, la barbarie au sommet de l’Etat. Le dramaturge en saisit la mesure et y est allé dans un phrasé parfois violent comme pour dire qu’il n’y a plus de temps pour la complaisance. La thérapie par le choc ?

Daté Atavito Barnabé Akayi

Théâtre urgent ! Théâtre violent !

Le mal est prégnant et l’écrivain alerté. La construction comme l’évolution de cette pièce ameute et tient en haleine par la surprise et le scandale des révélations qui se succèdent. « Ma femme… je sais que je partage ma femme avec toi […] Oui. Je le sais ! Et je sais aussi que ma deuxième fille est directement dérivée de tes gonades ! » (p.61). Avec la dramaturgie de Daté, il n’y a pas coup de théâtre, il y a des coups de théâtre. S’il faut se préoccuper des sales dessous à relents mafieux des pouvoirs, il faut autant être interpelé par la propension que prennent les accès dictatoriaux dans nos Etats africains motivés par des disparitions de cadres aux postes stratégiques, etc. Dans ce texte, Barnabé-Akayi comme Sony Labou Tansi dans « Une petite chouette vie bien osée » (Editions Lansman, 1992) et Ousmane Alédji in « Cadavre mon bel amant » (Editions Ndzé 2003), a fait l’option du langage cru, avec des termes décousus de bienséance rejoignant parfois le lexique argotique propre aux gens en conflit avec la société mais surtout avec eux-mêmes ou comme un homme qui n’en est plus un depuis qu’il a atteint l’ivresse du pouvoir. « Je me suis senti délivré quand j’ai plongé le couteau au niveau de sa gorge pour apprécier avec quelle rage le sang sortait de ses carotides […] Les trois, je les ai données en repas à mes animaux sauvages qui vivent au palais, dans le sous-sol, dont moi seul détiens la clé. (pp.66-67) ; « Ne vois-tu pas que j’ai effacé ta pute de femme par amour pour toi ! » (p.68). Daté est aussi enseignant. S’il choisit de choquer la sensibilité du lecteur se serait pour cause.

C’est entendu ! Audacieux, iconoclaste qualifient Daté Atavito Barnabé-Akayi et son écriture, dans tous les genres qu’il aborde. La présente pièce, sa quatrième, après « Les confessions du PR », « Amour en infraction », « Quand Dieu a faim… », comme les précédentes, évolue sans didascalie avec peu de personnages (deux ici) et traite d’un sujet sur lequel tout le monde préfère se taire (pour le moment ?). « Le chroniqueur du PR » sortie en novembre 2016 comme « Les confessions du PR » (sa première pièce politique publiée en 2010), donne à voir bien de ressemblances avec la situation politique béninoise du temps de publication. Kangni Alem, dans sa note qui sert de préface prévient : « Ecrire est un exercice parfois radical et prémonitoire, ce qui explique que souvent sous nos cieux, toi lecteur, tu crois la fiction plus matérielle que les intrigues de la politique par exemple. Je suis persuadé qu’à la publication de cette pièce de théâtre, tu vas t’imaginer le dramaturge fuyant le Bénin en chaloupe pour se réfugier dans quelque église du Golfe de Guinée. Si cela advenait, ce serait une manière bien triste de concevoir le droit à l’esthétique contradictoire de ceux qui font profession d’utiliser le théâtre à des fins éthiques.» (p.13).

Le chroniqueur du PR, Cotonou, Plumes Soleil, 2016, 77 p.

 


Par Eric AZANNEY

 

 

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