QUERELLES DE QUARTIER : CARICATURE D’UNE POLITIQUE SPECTACLE SCANDALEUSE
- Catégorie : Fitheb 2016
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Crédit Photo:Tognidaho Photo
Un fauteuil majestueux, des railleries de cour, un peuple avide d’information qui, au-delà de ce qui lui est servi par les médias officiels, lit entre les lignes et décode chaque comportement des dirigeants pour enfin s’approprier non l’information officielle mais plutôt la lecture parallèle que charrie monsieur tout le monde à travers les bas-quartiers, sous l’arbre à palabre, dans les chaumières, au clair de la lune, au cœur du peuple.
Le spectacle écrit et mis en scène par Claude Balogoun, le premier joué dans le cadre de la 13ème édition du Festival International du Théâtre du Bénin, est dans l’air du temps. Si le public a beaucoup ri, c’est bien parce qu’il a semblé percevoir la satire, l’ironie et la mise en abîme d’une société, la sienne, dont les acteurs politiques et ceux qui en détiennent les leviers économiques sont dignes d’un carnaval burlesque destiné à alimenter les « joyeuseries » de la populace engoncée pour une bonne part dans une indolence jovialei.
Un Chef quartier sentant s’approcher l’échéance de son ultime mandat à la tête de sa localité, décide de faire réviser les règles du jeu afin de poursuivre son règne. Des personnalités dont il a le soutien jusqu’à cette étape s’y opposent. Alors, il usera de toutes sortes de moyens machiavéliques pour réprimer ces derniers. Et même quand tout semble lui échapper, il fera intervenir un nouvel acteur dans l’arène aux fin de poursuivre son règne.
Pour déployer sa vision d’une telle réalité, Claude Balogoun et ses acteurs occupent toute la scène, sa périphérie et l’espace du public. C’est une affaire qui emballe tout le pays tout de même ! Alors la parole sera portée au cœur de la masse par une alchimie qui part des médias classiques à ceux en vogue, les réseaux sociaux, sans manquer l’invocation de l’imaginaire des proverbes et autres allégories. Ainsi présente-t-on par exemple la justice du territoire en question comme une « aussi lente qu’un escargot enceinte » alors même que le distributeur du quotidien local, Le Quartiézard libéré, énonce à la criée l’avalanche des affaires d’Etat. La dynamique des allers-retours de personnages atteints comme de la bougeotte dans un jeu de chaise musicale est aussi saisissante que la truculence d’un texte qui explose sur les lèvres de jeunes acteurs plein d’énergie et de fougue. Sur scène, hors scène ou mis en avant par la magie de la vidéo, la force du jeu des acteurs est multidimensionnelle. Et ce théâtre qui se nourrit à peu près de tous les autres arts est à la mesure de la longue expérience tant théâtrale que cinématographique de son auteurii qui, par ailleurs, s’illustre dans le conte théâtralisé.
Il était une fois aujourd’hui
Le théâtre africain se nourrit depuis longtemps des histoires et de la structure des contes dans la création des spectacles et dans leur mise en scène. Claude Balogoun s’inscrit également dans ce genre : suite à la première scène, une actrice interrompt le déroulement des événements pour se mettre dans la position de narratrice.
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Mais, tout d’abord, l’ouverture : un décor sobre, un trône, un tapis et plusieurs tabourets parmi et avec lesquels les sept acteurs joueront toute la pièce. Ils ont des allures de saltimbanques aux costumes bigarrés, uniforme qui dénote de leur appartenance à une même communauté. Ils démontrent par leur jeu une grande maîtrise de l’espace, des corps, de leurs amples mouvements sur scène. Ce spectacle qui s’ouvre par le discours d’un chef quartier à ses habitants, et, du trône transformé ainsi en podium pour lequel il présente celui qu’il désir être son successeur ; Un tableau qui parle sur plusieurs niveaux : D’abord l’actualité électorale béninoise, avec le chef qui, toujours avec un chapeau blanc, impose la candidature d’un étranger caricaturé par de grandes semelles que l’acteur porte pour augmenter sa propre taille afin d’être au plus près de celle du personnage qui ne connaît pas la langue du pays qu’il veut gouverner. Mais aussi, l’imaginaire des récits nous conduit-il sur autre niveau, celui des personae, des masques de notre société : les nouvelles logiques politico-économiques qui suivent les intronisations des chefs, le mythe de « l’akɔwé » et le complexe d’infériorité des populations vis-à-vis de cet intellectuel qui dénigre les fautes de français des habitants du quartier, les bandits avec leurs comportements clichés de « buveurs de sodabi », la figure du charlatan kpayᴐ qui profite de la peur de son client - le chef quartier - pour lui vendre des talismans made in china et les comportements excentriques qu’il peut lui imposer en s’appuyant sur cet effroi. Par exemple, en lui demandant de sauter comme un crapaud pour rentrer chez lui.
C’est sur ce double plan que la pièce continue : un rapprochement apparemment paradoxal entre, d’un côté, le conte, sa structure relativement « figée », et, de l’autre, le contenu d’une histoire actuelle et politique.
L’actrice-narratrice qui interrompt la première scène pose aux autres une question fondamentale : comment on narre ce conte ? Une discussion s’amorce ainsi sur la structure même du conte, sur la décision des règles du jeu avant que le jeu commence : «il était une fois »…
Une autre réflexion pourrait s’ouvrir alors sur la création du conte : utiliser sa forme et son langage pour informer le public des faits socio-politiques presqu’encore actuels – récemment passés - problématise le moment où des évènements prennent la forme d’un récit, se chargent de symboles et d’une valeur morale, et seront ainsi contés et racontés à un public. On dévoile ainsi la capacité de renouvellement et d’innovation à l’intérieur de la structure codifiée du conte.
Malgré les questions posées par les acteurs au début sur la construction du conte et les réflexions que cela pourrait déchainer, le spectacle n’ose pas mettre en discussion cette structure, et la pièce de Balogoun se conclut de la façon dont tous les contes finissent : avec la déclaration de la narratrice que l’histoire est finie et le public invité à rentrer chez lui.
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En dépit de cette scène finale assez conventionnelle, Balogoun a su rendre plus intéressant et complexe la scénographie, en puisant dans son expérience de réalisateur. Cela se traduit par l’insertion d’éléments audiovisuels dans la représentation, rendant plus intéressante et complexe la scénographie. Les vidéos, dans lesquelles les acteurs jouent avec des habits de la vie quotidienne, non seulement transportent les spectateurs davantage dans cet espace de quartier mais surtout enrichissent le langage théâtral.
A l’exception de l’avant dernière scène où les images muettes de Zémidjan parcourant les ruelles d’un quartier assez proche de ceux de Cotonou, la capitale économique du Bénin, sont accompagnées de propos des personnages sur scène, c’est le choix d’une alternance vidéo-planche qu’il a fait. Une option de mise en scène qui culmine au niveau de cette scène de synchronisation où les acteurs sur la scène continuent à parler pendant que plusieurs plans se succèdent à l’écran ; le chant, les discours des personnages et les images de la vidéo, se superposent.
Théâtre d’engagement mesuré
La fiction est si proche de la réalité que malgré les précautions d’usage à peine voilée que prend le metteur en scèneiii, le Chef quartier tout puissant autour duquel tout tourne dans cette représentation, sans insister sur les célèbres mimiques et frasques du Chef de l’état Béninois dont la fin des fonctions venait à peine d’être entérinée par le scrutin présidentiel ayant consacré sa succession imminente par son plus grand ennemi personnel qu’il a, de toute autorité, érigé en ennemi public numéro un, se dégage de go au regard des relations entre acteurs évoquées et des événements majeurs qui ont jalonné ses dix ans à la tête du pays. L’un des plus importants événements, une affaire d’empoisonnement prétendument orchestrée par l’ennemi du président et encore pendante devant les tribunaux françaisiv, est présentée ici avec un point de vue sans ambages : « c’est une intrigue hollywoodienne ». Alors se pose la question de l’audace du choix de ce sujet et de la portée du théâtre politique dans une société aussi démocratique que celle béninoise.
Il y a un théâtre d’engagement politique en Afrique et au Bénin. Cela date d’ailleurs. Et dans des conditions de musellement les plus redoutables, ce genre de théâtre a servi, par le passé, d’efficace soupape d’échappement à la colère du peuple en même temps qu’il a le mérite de préparer les masses à prendre leur destinée en main, aussi vraie qu’en démocratie, la souveraineté appartient au peuple. En l’espèce, on peut citer la pièce politiquement engagée Goli de Camille Amouro, jouée en Côte d’ivoire et au Bénin en 1988 alors que sévissait le règne sans partage de Mathieu Kérékou présenté en ces années, sur la scène internationale, comme un redoutable dictateur africain. A la fin d’une représentation de cette pièce sur les mêmes planches de l’actuel Institut français, à deux minutes de marche de la présidence de la république, nombreux redoutaient qu’une horde de militaires viennent cueillir les artistes à leur sortie. Il n’en était rien et deux ans plus tard, le régime Kérékou tombe. Plus proche, au Burkina-Faso, la chute du pouvoir de Blaise Compaoré, chassé par ce qu’il est convenu d’appeler la révolution burkinabé d’octobre 2014, a été précédée d’une série de créations artistiques de dénonciation dont la plus illustre reste Nuit blanche à Ouagadougou, une pièce de Serge Aimé Coulibaly ayant préparé l’opinion burkinabé à l’idée que seule un soulèvement populaire aidera le peuple à se défaire du dictateur. Et cela n’a pas manqué moins d’un mois après la représentation. De fort belle manière.
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« Querelles de quartier » eut été joué quelques semaines avant les élections présidentielles béninoises de 2016 qu’elle s’inscrirait d’office dans cette veine de créations à porter au panthéon du théâtre militant africain, aux côtés de grands textes de Sony Labou Tansi. Ce n’est hélas pas le cas. Au contraire, en pourfendant un système finissant et déjà sous les quolibets populaires, en réhabilitant avant l’heure les apparatchiks en passe de prendre le contrôle du pays, cette pièce se lance les pieds joints dans l’ordre du discours. Il s’agit ici d’exalter ce qui plaît au prince en s’inscrivant dans le discours plutôt convenu. C’est comme tirer sur une ambulance ou plus simplement déshabiller Zinsou pour habiller Sagbov. Cependant l’effet cathartique du spectacle n’est pas moins négligeable quand on sait qu’il se joue dans le cadre du Fitheb, le plus grand festival de théâtre d’Afrique, dont l’essentiel du budget est supporté par le budget national et mis à disposition par le même système de gouvernance en cause. C’est tout de même un mérite. En attendant l’expression véritable de la conquête des libertés de création au Bénin.
Arcade ASSOGBA et Carla BERTIN
- Il s’agit d’un concept qui fait référence au peu d’implication de la couche majoritaire des populations de l’Afrique au sud du Sahara dans l’appropriation des débats de société, les questions politiques notamment. Cette idée est développée par l’économiste Seydou R. Ouédraogo, enseignant chercheur à l’Université de Ouagadougou et à l’université d’Oxford.
- Claude Balogoun est acteur, réalisateur et producteur bien connu au Bénin. C’est aussi un comédien de théâtre qui depuis un an environ a publié un livre de conte théâtralisé.
- Interviewé à la fin du spectacle, il dit avoir écrit cette pièce depuis 20 ans. Non sans sourire bien évidemment.
- Lire article BÉNIN Talon, sulfureux millionnaire aux affaires, Libération.fr, Par Maria Malagardis — 21 mars 2016 à 20:31
- Zinsou et Sagbo sont des prénoms donnés aux jumeaux hommes dans le Bénin méridional.
Un fauteuil majestueux, des railleries de cour, un peuple avide d’information qui, au-delà de ce qui lui est servi par les médias officiels, lit entre les lignes et décode chaque comportement des dirigeants pour enfin s’approprier non l’information officielle mais plutôt la lecture parallèle que charrie monsieur tout le monde à travers les bas-quartiers, sous l’arbre à palabre, dans les chaumières, au clair de la lune, au cœur du peuple. Le spectacle écrit et mis en scène par Claude Balogoun, le premier joué dans le cadre de la 13ème édition du Festival International du Théâtre du Bénin, est dans l’air du temps. Si le public a beaucoup ri, c’est bien parce qu’il a semblé percevoir la satire, l’ironie et la mise en abîme d’une société, la sienne, dont les acteurs politiques et ceux qui en détiennent les leviers économiques sont dignes d’un carnaval burlesque destiné à alimenter les «joyeuseries» de la populace engoncée pour une bonne part dans une indolence joviale. [i]
Un Chef quartier sentant s’approcher l’échéance de son ultime mandat à la tête de sa localité, décide de faire réviser les règles du jeu afin de poursuivre son règne. Des personnalités dont il a le soutien jusqu’à cette étape s’y opposent. Alors, il usera de toutes sortes de moyens machiavéliques pour réprimer ces derniers. Et même quand tout semble lui échapper, il fera intervenir un nouvel acteur dans l’arène aux fin de poursuivre son règne.
Pour déployer sa vision d’une telle réalité, Claude Balogoun et ses acteurs occupent toute la scène, sa périphérie et l’espace du public. C’est une affaire qui emballe tout le pays tout de même ! Alors la parole sera portée au cœur de la masse par une alchimie qui part des médias classiques à ceux en vogue, les réseaux sociaux, sans manquer l’invocation de l’imaginaire des proverbes et autres allégories. Ainsi présente-t-on par exemple la justice du territoire en question comme une «aussi lente qu’un escargot enceinte» alors même que le distributeur du quotidien local, Le Quartiézard libéré, énonce à la criée l’avalanche des affaires d’Etat. La dynamique des allers-retours de personnages atteints comme de la bougeotte dans un jeu de chaise musicale est aussi saisissante que la truculence d’un texte qui explose sur les lèvres de jeunes acteurs plein d’énergie et de fougue. Sur scène, hors scène ou mis en avant par la magie de la vidéo, la force du jeu des acteurs est multidimensionnelle. Et ce théâtre qui se nourrit à peu près de tous les autres arts est à la mesure de la longue expérience tant théâtrale que cinématographique de son auteur[ii] qui, par ailleurs, s’illustre dans le conte théâtralisé.
Il était une fois aujourd’hui
[i]Il s’agit d’un concept qui fait référence au peu d’implication de la couche majoritaire des populations de l’Afrique au sud du Sahara dans l’appropriation des débats de société, les questions politiques notamment. Cette idée est développée par l’économiste Seydou R. Ouédraogo, enseignant chercheur à l’Université de Ouagadougou et à l’université d’Oxford.
[ii]Claude Balogoun est acteur, réalisateur et producteur bien connu au Bénin. C’est aussi un comédien de théâtre qui depuis un an environ a publié un livre de conte théâtralisé.